Chapitre 5 - La Maison paroissiale

Chapitre 5 - Le Maison paroissiale
Pendant les moments de veille de la nuit, Johan repensa à tout le travail qui l'attendait, pour restaurer la Maison paroissiale. D'une part, l'ampleur de la tâche l'épouvantait. Mais d'autre part, habitué à la compétition par ses deux ans de « prépa », il se sentait les épaules pour relever le défi. Le lendemain, il se leva de bonne heure. Il retrouva sa sœur Lise et son cousin Michael dans la cuisine pour le petit déjeuner. Il se versa une tasse de thé et pendant qu'il se tartinait une tranche de pain grillé avec de la marmelade d'orange, il entama la conversation sur le sujet qui le préoccupait :
— La seule partie du bâtiment qui est à peu près potable c'est la charpente, dit-il.
— Tu m'étonnes, répondit Michael. Nous venons de la faire refaire entièrement avec la toiture.
— Je me demande qui s'est chargé des travaux, dit Lisbeth. En tout cas, ce doit être un grand artiste. Car il a pris la peine de sculpter les poutres qu'il a remplacées en harmonie avec les anciennes.
— C'est MacSaor, le charpentier du village qui s'en est chargé. C'est effectivement un très bon artisan, dit Grand-Père qui venait de les rejoindre à la table du petit déjeuner.
Il inclina la tête, fit une courte prière d'action de grâce et commença à manger ce que Lisbeth qui, s'étant levée à son arrivée, s'était empressée de lui servir. En rentrant de leur rencontre avec le Père Kenneth, la veille, ses petits-enfants l'avaient informé de leur projet.
— Comment comptez-vous employer votre journée, mes petits ? demanda Grand-Père avec une condescendance taquine.
— Je vois déjà trois tâches à accomplir en priorité, répondit Johan, mettant déjà en œuvre son talent d'organisateur, imbu de sa responsabilité : abattre les arbres qui occultent la lumière à l’arrière du bâtiment, réparer la fenêtre et décoller toutes cette saleté des murs.
— On va avoir besoin de main d'œuvre. Ce matin, je vais aller faire le tour du village pour rassembler les membres du groupe de Sharon. En espérant qu'ils acceptent de venir, ajouta-t-il en jetant un regard en coin à son cousin qui avait exprimé la même crainte, la veille.
— Johan, tu devrais aller voir MacSaor ce matin, pour la fenêtre, dit Grand-Père. Et toi, Lisbeth ? interrogea-t-il.
— J'accompagne Michael, dit-elle, simplement.
— Comme d'habitude, pensa Johan, amer au souvenir de sa cousine Sharon qui lui manquait terriblement.
Johan allait se lever. Mais son cousin lui fit signe d'attendre.
— J'aimerai que l'on prie avant de partir, dit Michael.
Johan agacé par ce qu'il considérait comme des simagrées, fit mine de partir. Mais, Lise et Grand-Père lui imposèrent de s'asseoir. Au grand étonnement de Johan, ce ne fut pas Grand-Père qui se mit à prier, mais Michael :
— Seigneur, je te remercie parce-que tu as persuadé Johan d'accepter ce projet par ton Esprit. Fais de même avec les amis de Sharon pour qu'ils puissent se rendre disponibles. Je te demande de bénir cette journée, et toute notre entreprise. Nous te le demandons au nom de Jésus.
— Amen, dit Grand-Père.
— Amen, dit Lisbeth.
— Amen, pensa Johan.
Michael sorti un carnet de sa poche et se mit à y écrire quelque chose. C'était un carnet de vélin relié de cuir vert foncé à tranche dorée. Il le tenait comme un objet précieux.
— Que notes-tu dans ton carnet ? demanda Lisbeth
— C'est mon carnet de prière. J'y note tout ce que je demande à Dieu, la date à laquelle je fais la requête, et la date à laquelle je suis exaucé. Je viens d'y noter ma demande pour que tous les jeunes viennent nous aider cet après-midi.
— Et tu y crois vraiment ?
— C'est une promesse de Jésus lui-même, répondit-il en citant la bible :
Si vous demeurez en moi, et que mes paroles demeurent en vous, demandez ce que vous voudrez, et cela vous sera accordé.
Jean 15:7
Pendant que Michael et Lise s'en allèrent par le village pour rassembler les jeunes, Johan, lui, se dirigea vers l'atelier du charpentier.
— Bonjour Monsieur MacSaor, lança Johan pour saluer le charpentier
— Bonjour mon garçon. On voit que la révolution française est passée par là.
— Que voulez-vous dire ? demanda Johan qui ne voyait pas de rapport entre le propos de l'ouvrier et la situation.
— Tu m'appelles « Monsieur ». Quelqu’un d'ici m’aurait appelé MacSaor, tout court.
— Nous avons décidé de réparer la Maison paroissiale, l'informa Johan. Je suis émerveillé par le travail que vous avez accompli.
— Avant de me flatter, veux-tu me dire que ce que tu veux de moi ? demanda-t-il bourru.
Johan lui parla de la fenêtre en ruine, de la galerie vermoulue, des lattes qui manquaient sur le plancher et les lambris.
— Pour la fenêtre, elle est prête. Mais je n'ai pas eu le temps de la monter, car il faudrait abattre les arbres qui poussent derrière. Pour le reste, j'ai les matériaux, mais c'est le temps qui va me manquer. Il me faudrait un apprenti, mais le travail du bois n'intéresse plus personne. Pourtant on gagne bien sa vie.
— Vous avez des enfants ? S’enquit Johan.
— Une fille, répondit-il. Je vous accompagnerai à la Maison, tantôt.
— Merci, lui dit Johan. A tantôt, alors.
En rentrant au manoir, il trouva Lisbeth découragée.
— Avec tes idioties, personne ne veut venir. La plupart nous demandent si Sharon est là. Et sur notre réponse négative, ils nous disent qu'ils attendront son retour.
— Et les autres ?
— Tu t'es taillée une réputation épouvantable. Aucun ne souhaite se laisser commander par un français colérique, autoritaire et injuste.
— C'est bien facile de me faire porter le chapeau. Ils se prétendent chrétiens. Mais ils ne savent pas pardonner.
— Pour qu'il y ait pardon, il faut qu'il y ait faute, intervint Michael qui, contrairement à Lisbeth, arrivait serein sans afficher la moindre inquiétude.
— Que veux-tu dire par là ? demanda Johan.
— Que ce serait peut-être plus facile si tu reconnaissais enfin que tu as fait la plus grosse bourde de ta vie.
— Tu vas me le reprocher jusqu'à ma mort ?
— Non, lui répondit Michael qui regrettait déjà sa parole blessante. Je ne t'en parlerai plus. Personnellement, cet après-midi, moi je serai là, à tes côtés, pour t'aider.
— Moi aussi, ajouta Lisbeth.
Après le repas de midi, les cousins se dirigèrent vers la Maison paroissiale. Contre toute attente une vingtaine d'ados discutaient assis sur le muret qui bordait la rue. Michael fit les présentations. Johan leur expliqua ce qu'il attendait d'eux et chargea Michael d'organiser les équipes.
MacSaor, le charpentier arriva avec sa règle. Une petite fille le suivait. En l’apercevant de loin, ses longs cheveux blonds-roux évoquèrent, chez Johan, le souvenir de sa cousine Sharon, ce qui lui provoqua un pincement au cœur. Elle devait avoir douze ans. Elle était jolie, mais son allure débile et ses grands yeux verts ternes et vides qui n'arrivaient à se fixer sur rien, le mirent mal à l'aise.
— C'est ma fille Megan, dit le charpentier. Elle est autiste, ajouta-t-il tout bas d'une voix qui tremblait.
Instantanément, Johan compris le drame que vivait cet homme. Il exerçait un métier qu'il aimait. Il n'avait qu'une seule enfant. La peur de reproduire le handicap de Megan, l'avait empêché d'en désirer d'autres. Ce n'est pas Megan qui pourrait reprendre son métier. Et la débilité de sa fille annihilait tout espoir d'avoir un gendre à qui il pourrait transmettre son savoir-faire. Une bouffée de colère remonta en lui. Comment Dieu, qui prétend nous aimer, peut-il permettre une telle ignominie ?
Johan et MacSaor entrèrent dans la grande salle et ce dernier commença à dénombrer les lattes manquantes et prendre les mesures nécessaires. Au début, Johan fut dérouté par le système de mesure « impérial » en pieds et pouces utilisé par le charpentier. Mais habitué aux exercices intellectuels, il finit par s'y adapter.
En revenant dehors, des garçons vinrent discuter avec lui. Sharon les encourageait à rendre témoignage conformément à ce qui est écrit dans la bible :
Si tu confesses de ta bouche le Seigneur Jésus, et si tu crois dans ton cœur que Dieu l'a ressuscité des morts, tu seras sauvé. Car c'est en croyant du cœur qu'on parvient à la justice, et c'est en confessant de la bouche qu'on parvient au salut, selon ce que dit l'Ecriture: Quiconque croit en lui ne sera point confus.
Romains 10:9-11
Aussi certains d'entre eux commencèrent à lui raconter comment ils s'étaient convertis. Mais Johan les rabroua, insistant sur les tâches à effectuer. Ils s'éloignèrent choqués.
— Pourquoi il est là ce français, s'il ne veut pas que nous lui parlions du Seigneur ?
— Laisse, il est énervé parce qu’il s'est fait largué par Sharon, lui dit un autre garçon.
— Mais non, c'est lui, au contraire qui a largué Sharon, renchérit une fille.
Les jeunes s'étaient exprimés en gaélique, pensant que Johan ne comprenait pas cette langue. Mais c'était oublier que Johan était un MacPelt. Il parlait et comprenait beaucoup mieux le gaélique que l'anglais qu'il parlait avec un léger accent qui dénonçait sa nationalité. Il eut envie de leur répondre vertement, mais il laissa tomber en haussant les épaules.
Pendant ce temps, Michael avait organisé les équipes. Johan constata peiné, qu'à part Megan, et Kyle, un garçon renfrogné qui ne paraissait pas très motivé, aucun des jeunes n'avaient souhaité se retrouver avec lui. Sa petite sœur Lise eut pitié de lui. Alors qu'elle s'apprêtait à suivre, à son habitude, l'équipe que menait son cousin, elle comprit avec beaucoup de sensibilité qu'il fallait qu'elle reste avec son frère.
— Je me retrouve avec Megan la débile et Kyle le taré, dit-il, en français.
— Et Lisbeth la quoi ? Questionna sa sœur vexée.
— Excuse moi, dit-il, comprenant qu'il venait encore de commettre une maladresse. Cela n'empêche que tous ces « bons chrétiens » laissent à l'écart les plus faibles, ceux qui ne leurs servent à rien.
— Il faut dire que tu as placé bien haut le niveau de tes exigences. Ils ont tous envie de te montrer de quoi ils sont capables, lui-dit Michael, qui était revenu en arrière, inquiet de ne pas voir arriver sa cousine. Il était suivit d'une jeune fille qui le couvait des yeux.
— Je reste avec Johan, l'informa Lise.
— C'est qui cette fille qui suit Michael partout comme un toutou ? demanda Johan à sa sœur quand les autres furent repartis.
— C'est Winifred, sa « girlfriend », répondit-elle.
— Tu parles d'un prénom, plaisanta-t-il car sa prononciation avait une résonance étrange dans l'oreille du français.
— Ses parents sont Gallois, expliqua Lise.
— Et tu n'es pas jalouse ? S’inquiéta Johan en pensant à ses propres sentiments pour sa cousine Sharon.
— Non ! C'est plutôt Winifred qui est jalouse. Moi aussi, j'ai mis la barre très haut, plaisanta-t-elle en riant, prétentieuse.
Pendant que l'équipe de Michael et Winifred s’occupait des arbres derrière le bâtiment l'autre équipe, menée par Moïra, une jeune fille à l'allure dynamique, commençait à décoller le papier peint dans la grande salle. Johan, avec l'aide de sa sœur et suivi de Megan et de Kyle inutiles, commença de procéder au relevé des cotes du bâtiment pour établir le plan qui devait l'aider à concevoir la nouvelle installation électrique.
Dans un coin de la grande salle, ce qui, dans l'obscurité, ressemblait à un tas de ferraille plein de rouille, le gênait pour travailler. Il interpella deux garçons de l'équipe de Moïra pour l'aider à le déplacer.
— Nous allons le sortir dehors, dit l'un des garçons. Ce soir, nous irons le jeter à la décharge.
Johan, Lisbeth et les deux garçons traînèrent la masse métallique sur la pelouse à l'extérieur. Johan, observant l'amas de ferraille au soleil, eut une inspiration.
— Attendez-moi ici, dit-il.
Il retourna à l'intérieur et dirigea le faisceau de sa lampe de poche vers le plafond. Son intuition ne l'avait pas trompé. Un gros anneau métallique était fixé aux grosses poutres maîtresses qui se croisaient au centre de la pièce.
— C'est l'ancien lustre de la grande salle, dit-il en ressortant. Il y a encore l'anneau dans les poutres où il était fixé et les poulies qui permettaient de le manœuvrer pour allumer les bougies.
— Quel dommage de le jeter, dit Lise. Restauré, un tel objet vaudrait une fortune dans une brocante.
— J'ai envie de demander au maréchal ferrant de le réparer et d'étudier le moyen de l'équiper de bougies électriques, répondit Johan. Mais cela va faire des frais supplémentaires.
Il y avait encore un maréchal ferrant à Galdwinie. Les habitants lui fournissaient suffisamment de travail pour qu'il puisse maintenir son activité au village. Il s'appelait MacGobha. C'était le père de Kyle.
— Bonjour, Monsieur MacGobha, dit Johan en arrivant devant la forge.
— Bonjour garçons, répondit-il, amusé par l'usage du mot « Monsieur » comme l'avait été au matin le charpentier. Bonjour Miss Lisbeth, ajouta-t-il en apercevant la sœur de Johan.
Il connaissait bien les jeunes gens qui pratiquaient l'équitation et qui venaient souvent le voir pour faire ferrer leur monture.
— Que puis-je faire pour vous aujourd'hui ? demanda-t-il.
— Nous aimerions étudier avec vous la possibilité de réparer cela et de l'équiper de lampes électriques, lui indiqua Johan en désignant du doigt le tas de ferraille qu'ils venaient de déposer devant la forge.
— C'est mon arrière-grand-père qui l'a forgé, répondit fièrement le forgeron, reconnaissant le lustre qui avait illuminé la Maison paroissiale pendant son enfance. C'est dans un triste état, ajouta-t-il en désignant l’entrelacs de ferraille rongé de rouille qui avait dû représenter, dans le passé, des sarments et des grappes de vigne.
— Combien cela va-t-il nous coûter, demanda Johan, inquiet.
— Ça me fera plaisir, éluda le forgeron. Vous arrivez à le faire travailler, demanda-t-il en désignant son fils, parce qu’à l'école c'est pas fameux.
— Il n'y a pas de problème, répondit Johan.
Johan eut de la peine pour Kyle, que son père dévalorisait en public. Il se souvenait, qu'à peu près au même âge, un professeur avait dit à ses parents qu'il ne pourrait pas suivre d'études, qu'il fallait l'orienter sur une filière professionnelle. Et pourtant, il s’apprêtait aujourd'hui à intégrer une Grande Ecole d'Ingénieur. Il se promit d'être attentif au jeune garçon et de prendre soin de lui.
Ils saluèrent le maréchal ferrant et revinrent à la Maison. La journée tirait à sa fin. Lisbeth était en train de soigner les inévitables bobos conséquents aux activités de la journée. Il se faisait tard et Johan s’apprêta à congédier les jeunes. Mais Michael les rassembla sur la pelouse. Il prit sa guitare et tous entonnèrent des chants de louange, interrompus par des prières d'action de grâce pour la journée passée. Après un dernier chant, ils se donnèrent rendez-vous pour le lendemain et chacun rentra chez soi.
Après le dîner Johan profita de la soirée pour dessiner le plan de la Maison à partir des relevés qu'il avait effectués. Il était épuisé, mais sans vraiment comprendre pourquoi, il commençait à ressentir de la joie. Le plan achevé, il monta se coucher.

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