Chapitre 1 - En vacances !

Chapitre 1 - En vacances !
— Lise ! Grouille-toi !
— Si tu avais préparé tes affaires hier, au lieu de le faire à la dernière minute comme d'habitude, nous ne serions pas obligés de « nous grouiller » comme tu dis.
— Quelle gourde ! Grouille, quoi ! Si tu continues, nous allons rater l'avion.
Un jeune homme pressait ainsi la jeune fille qui l'accompagnait. Lui, les cheveux bruns, d'une taille moyenne, devait avoir dix-neuf ans. Elle, une brune à la longue chevelure, devait être de trois ans sa cadette. Leur ressemblance attestait qu'ils étaient frère et sœur. Ce qui contrariait la satisfaction prétentieuse du garçon à s'afficher en compagnie d'une jolie fille dont la fraîche beauté attirait les regards.
Elle était embarrassée pour sortir de la navette qui desservait le terminal de l'aéroport Charles de Gaulle. Sa valise, son sac à main et une raquette de tennis rendaient difficile la descente du minibus.
— Johan ! Soit sympa ! Attends-moi ! Tu pourrais m'aider quand même.
Le garçon, chargé lui-aussi, de sa valise à roulette et d'un sac contenant son matériel photographique, s'était dirigé vers les tapis roulants qui facilitaient la circulation des voyageurs sans se préoccuper des difficultés de sa sœur. Elle courut pour le rattraper.
— Tu es tellement pressé de retrouver Sharon ? demanda-t-elle à son frère, qui ne put s’empêcher de rougir. J'ai toujours su que tu avais le béguin pour elle.
— A en juger par ta lenteur, je suppose que tu ne languis pas après Michael, lui répondit-il, la faisant rougir à son tour.
C'étaient leurs cousins écossais. A peu près du même âge, Sharon et Michael étaient respectivement âgés de 18 et 17 ans. Tous les quatre avaient partagé des vacances épiques, deux ans auparavant, chez leurs grands-parents à Galdwinie, un petit village des Highlands. A l'époque, lors de leurs retrouvailles après cinq ans de séparation, ce fut le coup de foudre réciproque entre les quatre adolescents. L'exploration des secrets du manoir familial, les randonnées dans la montagne, les parties de pêche, de golf, et surtout les danses traditionnelles écossaises animées tous les samedis lors des longues soirées de l'été par les associations locales, avaient fini par nouer des liens affectueux entre les jeunes gens de sexes opposés, proches du flirt.
Johan MacPelt, après deux ans de Math Sup et Math Spé au lycée Chaptal de Paris, venait de terminer la période des concours aux grandes écoles d'ingénieurs françaises, avec bon espoir d'intégrer l'Ecole Nationale Supérieure des Arts et Métiers comme il l'ambitionnait. Lisbeth, sa petite sœur qu'il appelait Lise, venait d'obtenir brillamment son baccalauréat avec une mention très bien. Son inscription à la fac de médecine pour l'année suivante avait été acceptée. Forts de leurs succès respectifs ils étaient à présent libres de se préoccuper de leurs vacances. Contrairement à l'année précédente, cette fois ci, elles coïncidaient avec les congés anglo-saxons. Du coup les quatre cousins avaient projeté de se rejoindre à nouveau chez Granny et Grand-Père.
C'est comme cela que les deux français se trouvaient maintenant à faire la queue au guichet d'embarquement, pour faire enregistrer leurs bagages et prendre l'avion pour Édimbourg. Après une attente raisonnable, ils purent enfin embarquer et s'asseoir dans les sièges qui leur étaient attribués.
Johan était mal à l'aise. La chaleur étouffante, la promiscuité du RER, l'avaient énervé. Bien que initié à la mécanique des fluides, et comprenant parfaitement les principes physiques qui présidaient à la sustentation des aérodynes, il détestait prendre l'avion. De plus, comme Lise lui avait cédé la place coté hublot, il commença à observer le moutonnement caractéristique des nuages, préambule à la formation de ces fameux cumulo-nimbus qui laissaient présager de violents orages. D'un naturel pessimiste, imaginant le pire, il se mit à implorer mentalement une hypothétique providence pour que ceux-ci ne se déclenchent que bien après le décollage. Il ne fallait pas moins que la perspective de retrouver sa jolie cousine pour le forcer à dépasser ses angoisses.
— Tu veux du chewing-gum ? lui demanda Lise. Cela permet de soulager les bourdonnements d'oreille au décollage.
Malgré leurs taquineries réciproques permanentes qui agaçaient leurs parents, Johan et Lisbeth avaient une grande affection l'un pour l'autre. Connaissant les faiblesses de son grand frère, elle lui avait posé une main apaisante sur le bras. Et, comme toujours cela l'avait vraiment réconforté.
Mais Johan avait un autre sujet de préoccupation auquel sa petite sœur ne pouvait rien. Deux ans auparavant, les vacances s'étaient terminées le lendemain de la fête paroissiale à laquelle les habitants du manoir prenaient une part non négligeable. Respectant les coutumes, les quatre adolescents s'étaient vêtus du costume traditionnel écossais du clan MacPelt. L'honneur d'ouvrir le bal avait échu à Sharon et lui. Lorsqu'il vit Sharon et Lisbeth descendre fièrement l'escalier, droites dans leur longue robe de laine blanche, le sash sur l'épaule fixé par la lourde broche aux armes du clan prêtée par Granny pour l'occasion, il fut ému jusqu'aux larmes. Leur magnifique chevelure tressée autour de leur visage les faisait ressembler à des princesses elfes, comme on les rencontre dans les romans de J.R.R. Tolkien. Comme l'esprit affûté de sa petite sœur l'avait remarqué, il s'était fort épris de sa cousine au cours de ces vacances. Pendant la soirée et le lendemain lorsqu'il l'avait serré dans ses bras au moment des adieux, bien que n'osant pas aborder franchement le sujet, il eut les preuves que ce sentiment était partagé. Pendant ces deux ans, ils avaient entretenu une correspondance assidue donnant une dimension tangible à leur affection réciproque. Mais depuis quelque temps, quelque chose avait changé.
— Décidément les filles sont bien compliquées, pensa-t-il.
*
* * *
Pour Johan, la relation avec les filles avait toujours été un problème. Il s'était retrouvé au lycée pour la première fois dans une classe mixte voisinant avec des jeunes filles habillées à la mode de l'époque propre à dévoiler tous leurs appâts. Sa sexualité s'est brutalement éveillée à ce moment, révélée par des rêves érotiques interrompus souvent par une pollution nocturne. Bourré de complexes, il était épouvanté à l'idée que l'on puisse s’apercevoir des effets produits lorsque les filles de sa classes s'approchaient pour lui faire la bise, habillées en minijupe et révélant en se penchant un décolleté profond. L'adrénaline le faisait virer au rouge pivoine, sans évoquer ce qui se passait dans le pantalon.
Il était également choqué par la facilité avec laquelle certains garçons s’appropriaient une fille pour la laisser tomber peu après, multipliant les expériences sans tenir compte des dégâts causés. Il eut l'occasion d'assister à des crises de larmes ou de violences terribles. Instinctivement il se positionna en retrait de ces pratiques, jusqu'à refuser tout contact physique avec la gent féminine, y compris la bise du matin. Ce qui le mit quelques fois dans des situations pénibles. Un jour, une des filles de la classe, devant qui il se dérobait, se méprenant sur son orientation sexuelle, s'est exclamée : « Des mecs comme ça, il faudrait les tuer ». L'homosexualité n'était pas encore à la mode. Ce pouvait même être dangereux au vu des plaisanteries et de actions homophobes entreprises par ces abrutis qui, affichant leur virilité, ne faisaient que révéler l'étroitesse de leur esprit et la dimension de leur cervelle inversement proportionnelle à celle prétendue de leur pénis.
Pour lever cette ambiguïté Johan s'était inventée une amou-reuse imaginaire et idéalisée. Ce qui lui permettait de justifier sa posture par des phrases comme « je suis déjà casé », « je me garde les bises pour celle que j'aime » ou « je suis catholique romain : jamais avant le mariage ». Elle était dotée de toutes les qualités, comme la douceur, la tendresse, l'indulgence, un amour inconditionnel et surtout une dimension d'unicité et d'éternité. Il n'y en aurait qu'une et une seule et son amour devrait durer pour toujours même au delà de la mort. C'était quelqu'un qui le connaissait intimement sans le juger et devant qui il n'avait pas peur de se dévoiler.
Il souffrait profondément de la solitude induite par sa posture exigeante. Surtout lorsqu'il voyait ses camarades en couples, essuyant leurs sarcasmes malsains sur lui quant à l'anormalité de sa virginité. Mais paradoxalement, il éprouvait une certaine satisfaction à rester pur pour le jour de son mariage. Ce qui était perçu comme une tare par son entourage faisait l'objet de sa fierté. Mais son mérite lui semblait bien mince et chèrement payé.
Sa rencontre avec Sharon, sa cousine, lui avait permis de concrétiser le fruit de son imagination. Il l'avait identifiée naturellement à ce personnage fictif. Persuadé que c'était elle, l'élue, il était bien décidé à se déclarer franchement dès le début des vacances, malgré la distance à peine perceptible qui s'était installée dans leur relation épistolaire.
— Mais que s'est-il donc passé avec Sharon ? se demanda-t-il. Peut-être a-t-elle rencontré un amoureux ?
Les deux ans de classes préparatoires aux grandes écoles, l'avaient préparé à relever tous les défis et la compétition ne lui faisait pas peur.
* * *
*
— Johan ! Tu rêves ? L’interpella Lisbeth. C'était bien la peine que je te laisse le hublot.
— Euh ! Qu'est-ce qu'il y a ?
— Regarde ! Nous arrivons ! On voit le château.
En effet l'avion contournait Édimbourg par le nord pour s'aligner sur la piste d'atterrissage. Dans quelques minutes ils retrouveraient leurs cousins car ceux-ci avaient promis de venir les chercher à l'aéroport.

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